[TRIBUNE] Migrations : Encore ‘Barça ou Barsakh[1]’ ! (Par Momar-Sokhna DIOP)

Tract – La question des migrations refait surface à la une de l’actualité sénégalaise. Le 24 juillet 2023, après le chavirement d’une embarcation au large de Dakar, au moins 17 personnes ont été retrouvées mortes, selon les autorités locales. 

 

Les migrations persistent et ne cicatrisent pas car les médecins politiciens  ont toujours tenté d’appliquer à la plaie un pansement au lieu de la soigner.

Il s’agit d’une indignation que j’ai exprimée dans mon ouvrage intitulé « Sénégal, diagnostic d’un pays candidat à l’émergence[2] ». En effet, le diagnostic que j’ai établi montre le laxisme des États qui prennent des mesures toujours inefficaces, provisoires et souvent liées à leur calendrier électoral.

Les africains et les Sénégalais en particulier ne quittent pas leurs pays par plaisir. Ils fuient la pauvreté, les dégâts des changements climatiques, les conflits, les répressions et les violations des droits de l’Homme.

Ils ne parviennent plus à réussir grâce à l’école, à manger à leur faim et à accéder à une santé descente.

Aujourd’hui, les agriculteurs sénégalais, les éleveurs, les pêcheurs, les transporteurs, les artistes, les professionnels du tourisme, les personnels de la santé, les maraichers, les commerçants et les employés ne peuvent plus vivre des fruits de leur travail. En même temps, ils constatent que l’argent de leurs impôts et les recettes issues de l’exploitation des ressources dont regorge leur pays sont mal dépensés voire pillés par une élite politique qui ne pense qu’à se servir des deniers publics.

Ayons le courage de l’avouer haut et fort. La raison pour laquelle les Sénégalais migrent est que toutes les ressources, qui doivent servir à assurer leur bien-être, chez eux, sont mal utilisées, gaspillées ou pillées par une minorité de privilégiés qui n’ont qu’un objectif : consolider leurs pouvoirs, leurs avoirs et leurs conforts personnels.

Vous allez penser : encore un article de plus, identique à la majorité des autres. Eh bien oui ! En effet, celui-ci va au-delà de la dénonciation. Il rappelle clairement qu’un pays comme le Sénégal ne va pas bien mais pourrait aller beaucoup mieux. Ce pays possède d’énormes atouts qu’il a jusqu’à présent mal exploités car les personnes qui le gouvernent ne sont pas toujours à la hauteur des transformations nécessaires pour accéder à l’émergence.

En effet, la plupart d’entre elles exerce le pouvoir, depuis longtemps, et n’ont jamais démontré l’engagement nécessaire pour sortir le pays de la situation périlleuse dans laquelle il se trouve confiné depuis des décennies. Leur comportement vis-à-vis des deniers publics ne fait pas d’elles des exemples. Les actes qu’elles posent ne répondent presque jamais aux attentes les plus élémentaires des populations qui les ont élues.

Confrontés à toutes ces difficultés, les jeunes Sénégalais continuent  d’être des candidats à l’exode. Ils quittent leur pays pour fuir leur destin tragique pour reprendre les termes de Fatou Diome[3].

Comme le constate également Makhily Gassama, « c’est l’échec de toutes nos politiques de développement ; l’échec de nos élites, qu’elles soient politiques surtout politiques-intellectuelles et économiques depuis la proclamation de nos fameuses indépendances ; cet échec constitue les vraies causes de ces déplacements massifs des populations [4] ».

Nous n’avons pas réussi à nous imposer sur le globe comme les autres continents en dépit de nos immenses richesses naturelles, en dépit de nos valeurs culturelles évidentes. Pourquoi ? Par manque de courage politique.

Les politiques bradent notre dignité sans état d’âme sous le prétexte d’un realpolitik qui ne sert que leurs intérêts personnels et ceux de leurs complices extérieurs. Quant à nos relations avec le monde extérieur, nous nous sommes contentés de nous livrer et livrer nos pays à des puissances étrangères comme aucun continent ne l’a fait, et courir après des fauteuils, souvent en pataugeant dans le sang de nos concitoyens avec le seul souci de les conquérir ou de s’y maintenir confortablement.

L’Europe, principal foyer d’accueil, est en permanente recherche de solutions. L’objectif principal est bien évidemment de faciliter les expulsions qui ne résoudront pas le problème car comme le criait le président Abdou Diouf, en 1991, dans  le journal Figaro lorsqu’il plaidait pour un maintien de l’aide au continent africain « les pays du Nord risquent d’être envahis d’une multitude d’africains qui, poussés par la misère, déferleront par vagues. Et ils auront beau faire des législations contre l’émigration, ils ne pourront pas arrêter ce flot, car on n’arrête pas la mer avec ses bras… Il faut que les populations du Nord sachent qu’avec le Sud elles vivent dans le même village planétaire. Leur intérêt est d’aider l’Afrique à se développer[5] ».

Mais les pays africains sont-ils capables de soutenir leur propre développement sans être assistés ?  Ce sont ces questions que devait se poser Abdou Diouf et que ses successeurs et collaborateurs au pouvoir doivent se poser.

Nous invitons donc tous les États responsables qui nouent des partenariats avec les pays africains de regarder les dirigeants dans les yeux et d’attirer leur attention sur la nécessité de changer de comportement face aux deniers publics. Nous nous adressons particulièrement à la France pays le plus présent au Sénégal. Si cette démarche n’est pas engagée, si dans les années à venir le Sénégal ne dispose pas d’infrastructures éducatives, économiques et sanitaires décentes, la vague d’immigration va continuer à déferler et aucun mur ne pourra la stopper. L’insécurité et les mouvements extrémistes prospéreront, les actions terroristes se multiplieront et constitueront des menaces contre l’humanité tout entière.

En tant qu’afro-optimiste, nous ne sommes ni pour Barça ni pour Barsakh. Nous sommes pour une Afrique indépendante, juste et unie qui reprend son développement en main. Le développement ne se délègue pas pour reprendre la vision de Mamadou DIA[6].

 

Momar-Sokhna DIOP, professeur d’économie et écrivain à Paris

 

[1] Barça ou Barsakh signifie «’Barcelone ou la mort’

[2] Momar-Sokhna DIOP, Sénégal, diagnostic d’un pays candidat à l’émergence, Editions l’Harmattan 2019

[3] Fatou Diome, Le ventre de l’Atlantique, Éditions Anne Carrière, 2003.

[4] Makhily Gassama, Le geste de la Libye, met à nu nos échecs in Sud Quotidien, Interview N° 7362 du mercredi 22 novembre, 2017.

[5] Le siècle de l’Afrique, réussites, défis et migration, Le Point, N°2370, 02/2018.

[6] Mamadou DIA, Afrique le prix de la liberté, Editions l’Harmattan 2001