[Tribune] «Quand deux éléphants se battent, c’est l’herbe qui en pâtit»* (Par Babacar Gaye, homme politique)

Tract – En 1901, dans son traité politique « QUE FAIRE », Lénine dénonce les positions déstabilisatrices des terroristes de la Svoboda qui prônent l’action ponctuelle violente, une tactique d’excitation des masses dans le but de renverser le Tsar. En  complicité avec des cercles d’intérêts économiques, ils renoncent à la formation d’une classe politique consciente.

 

Aujourd’hui, le Sénégal présente les prémices d’une crise politique majeure dans un contexte sous-régional incertain.

En effet, les enjeux géostratégiques actuels bouleversent tous les schémas classiques de coopération internationale. ​S’y ajoutent, depuis plus d’une décennie, la crise sécuritaire et l’instabilité croissante dans le Sahel.

La dislocation de l’Etat libyen engendrée par la mort de Kadhafi a fourni en hommes et matériels les jihadistes, fait sauter les verrous sécuritaires et accéléré le processus de déstabilisation du Sahel.

Presque comme un effet de vague, des coups d’Etat sont intervenus au Mali, au Burkina et en Guinée.

Si les velléités d’accès à la mer et le contrôle des ports de l’Afrique de l’ouest par les djihadistes ont été annihilées, le souvenir des tueries de Grand-Bassam reste encore vivace.

Quid de la France-Afrique, élément capital de cette conjoncture critique?

Certes, les opérations Serval et Barkhane au Sahel ou Sangaris en République centrafricaine ont permis des succès militaires, si relatifs soient-ils.

Cependant, ces opérations n’ont pas réussi à entraver la dégradation de la situation sécuritaire dans l’espace sahélien. Pis, le retour des coups d’État ponctué par un recul démocratique dans nombre de pays de la région ouest-africaine, s’accompagne désormais d’un très fort sentiment anti-français propice aux percées de nations stratégiquement émergentes.

Ceinturé par la Mauritanie, la Gambie et la Guinée Bissau qui sont encore des démocraties fragiles, le Sénégal est assis sur un volcan dans un îlot encore stable.

C’est dans ce contexte que l’on découvre du pétrole et du gaz alors que des bouleversements géostratégiques surviennent en Europe: l’annexion de la Crimée et l’invasion de l’Ukraine pour le contrôle de l’accès à la Mer baltique et la mainmise sur les vannes gazières qui alimentent l’Europe.

En Afrique, la mauvaise gouvernance, la crise sanitaire de la pandémie à Covid-19 et le rejet de l’étranger par une élite néo-panafricaniste émergente, développent l’afro pessimisme. Le populisme profite de la misère des masses et de la désespérance de la jeunesse, brouille davantage la situation et fait la promotion d’un néo-colonialisme russe en substitution à la France-Afrique.

En effet, le démantèlement des dispositifs sécuritaires soutenus par la Communauté internationale, a créé un boulevard aux factions jihadistes en présence des mercenaires de Wagner.

C’est dans un tel contexte qu’il faut analyser ce redéploiement stratégique russe observé depuis l’effondrement des États du Sahel concomitamment à la découverte du pétrole aux larges de Sangomar au Sénégal, du gaz du champ Yakaar-Teranga et celui de Grand Tortue/Ahmeyim aux frontières maritimes entre la Mauritanie et le Sénégal.

En effet, notre pays ajoute à son rayonnement diplomatique, un autre enjeu géostratégique pour les puissances économiques et militaires qui se disputent les immenses richesses du continent africain non encore exploitées. Le regain d’activités des BRIC’s corrélé au récent retrait de l’Afrique du Sud de la CPI, annoncent les prémices d’une guerre froide économique entre, d’une part, la USA et ses alliés de l’OTAN et, de l’autre la Chine et ses satellites. L’adage dit que « quand deux éléphants se battent, c’est l’herbe qui en pâtit. »

Devant un tel tableau, que faire?

Bien peu, trop peu, fort peu d’acteurs politiques et institutionnels avaient compris notre appel à un pacte de stabilité politique et de concorde nationale initié en 2020 autour de la roche-mère : le Président Abdoulaye Wade et ses héritiers politiques, putatifs, présomptifs, biologiques et politiques. Malheureusement, nous avions raison trop tôt. Pourtant, l’essentiel est ailleurs:  En tenant compte des contraintes du dedans et du dehors, il est impératif de fixer un cadre macro-politique pour un dialogue fécond afin que le génie sénégalais continue de briller en Afrique et dans le monde.

D’emblée, il faut constater qu’en interne, de nouveaux parangons du nationalisme teinté de repli identitaire et de xénophobie surfent sur les lubies d’un panafricanisme mal assimilé. Ils se nourrissent du désarroi des jeunes pour les subjuguer et les utiliser comme chair à canon face aux derniers bastions de la République et de la Démocratie.

En effet, sous le couvert d’une lutte pour les libertés individuelles et collectives, la vivification des pratiques d’un intégrisme religieux, la lutte contre un troisième mandat du Président Macky Sall, des facho-populistes s’allient aux Wahabistes et Salafistes, embarquent des organisations de la société civile rentière de conflits. Ils manipulent les masses, jettent l’opprobre sur les magistrats, les forces de défense et de sécurité et ceux qui incarnent les institutions de la République, les guides et chefs religieux afin d’installer le chaos.

En face, que font les républicains et les démocrates? Même s’ils tentent chacun à sa façon de mettre en sourdine leurs légitimes revendications, ce n’est pas suffisant.

Les héritiers du Président Wade ne devraient pas déserter les espaces de convergence ; ce qui mettrait en péril la préservation de l’héritage politique qu’ils ont en commun. Indubitablement, il s’agit du Président Macky Sall, le maitre du jeu, de M. Idrissa Seck, aujourd’hui plus que jamais décidé à aller à la rencontre de son destin présidentiel et Karim Wade dont la survie politique dépendrait des concessions qu’il serait prêt à faire en vue de sa réhabilitation.

A notre humble avis, face à la montée des périls, les forces vives de notre Nation doivent oublier leurs rancœurs et sceller un pacte national de concorde et de stabilité.

Quelle pédagogie politique ?

L’appel au dialogue politique plusieurs fois réitéré du Président Macky Sall et les réactions encourageantes des franges importantes des forces de progrès redonnent espoir et nous font croire à une convergence des esprits animés par la paix et le bien-être des populations.

L’histoire politique du Sénégal a été façonnée autour de deux grandes familles: les socio-démocrates et les libéraux; la gauche progressiste ayant toujours joué son rôle d’avant-garde.

C’est pourquoi,  lorsque les héritiers de Senghor et ceux de Abdoulaye Wade acceptent de discuter comme ils l’ont toujours fait quand la stabilité du pays en dépend, aucune posture discordante ne peut prospérer.

Mais préalablement à de telles conclaves, les différentes chapelles issues de ces cuvées politiques ont la lourde responsabilité de « normaliser » les retrouvailles.

Les  véritables forces de progrès devraient-ils « laisser à leurs ennemis d’hier et d’aujourd’hui, le monopole de la pensée, de l’imagination et de la créativité ». Non!

Le modèle démocratique et la stabilité institutionnelle du Sénégal continuent de faire des jaloux alors que la découverte de richesses aiguise des appétits exogènes et endogènes. Seule une gouvernance de concordance nous permettrait de juguler ces fléaux. Aussi, rejeter les vertus du dialogue, c’est faire le jeu des ennemis du Sénégal et promouvoir l’instabilité politique et le chaos.

Sous ce rapport, tout patriote devrait saluer l’initiative du Président Sall qui appelle les forces vives de la Nation à un dialogue tant réclamé par une frange de l’opposition et la société civile.

Pour la tenue de telles assises, il nous plait d’exhorter les acteurs politiques à accepter, sans faux fuyant, la main tendue du chef de l’Etat afin de dépasser cette situation délétère, endiguer toutes les menaces et créer les conditions d’une élection présidentielle inclusive, démocratique  et transparente dans la concorde et la paix civile.

Pour y arriver, ils pourraient mettre sur la table des préalables, quelques termes de référence d’un dialogue politique, notamment les éléments suivants :

  1. Objectifs

Le dialogue politique vise à promouvoir la paix, la stabilité, l’inclusion, l’ancrage de la démocratie politique, économique et sociale et le développement durable au Sénégal.

  1. Participants

Les participants au dialogue devraient comprendre les partis de la majorité, ceux de l’opposition, la société civile, les autorités religieuses et coutumières.

  1. Thèmes de discussion

Les thèmes de discussion pourraient inclure, entre autres :

  • Les réformes électorales pour garantir des élections libres, justes et transparentes (la modification du système de parrainage, l’adoption d’une loi d’amnistie générale, la modification de quelques dispositions du code électoral, entre autres);
  • Les questions relatives aux droits de l’homme et à la liberté d’expression ;
  • Un paquet de réformes économiques et sociales pour promouvoir la croissance inclusive et réduire la pauvreté ;
  • Les questions liées à la sécurité nationale, notamment la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent.
  1. Processus de dialogue

Le dialogue devrait être inclusif, transparent et respecter les protocoles et accords internationaux et régionaux (Union africaine, et Cedeao), suivant un calendrier court, clair, des règles de procédure et un mécanisme de mise en œuvre et de suivi des accords conclus.

  1. Résultats attendus

Le dialogue devrait aboutir à

  • Un consensus fort sur les principes fondamentaux de la République, la Démocratie, l’État de droit, la bonne gouvernance et la liberté de presse;
  • Des réformes concrètes pour améliorer le système électoral et renforcer la démocratie participative;
  • Des engagements fermes pour renoncer à toute forme de violence comme mode de conquête du pouvoir et promouvoir la paix, la stabilité et la sécurité des personnes et des biens.

Babacar Gaye

Ancien Ministre d’Etat 

 

*‘Pour un Pacte de Concorde et de Stabilité’ est le titre de la Tribune