[Interview] Brigitte Nga Ondigui, chercheure-associée CERDOTOLA : ‘La restitution est synonyme de développement en matière de tourisme culturel’

Tract – Entretien avec Brigitte Nga Ondigui, chercheure associée au Centre International de Recherche et de Documentation sur les Traditions et les Langues Africaines (CERDOTOLA), chercheure au Laboratoire Camerounais d’Etudes et de Recherche sur les Sociétés Contemporaines (CERESC), membre CELAT-UQAM. 

 

En quelques mots, qui est Brigitte Nga Ondigui ?

Parler de moi est un exercice périlleux. On ne saurait être à la fenêtre et se voir passer dans la rue (Rire). Ce qui est souvent étalé lors de mes interventions est cette personne spécialiste du tissu traditionnel tiré de l’écorce battue, obom et du m’mouat (costume traditionnel), éléments de la culture matérielle. Sensible également aux enjeux du postcolonialisme/décolonialisme et de la résurgence de la culture résiduelle dans les sociétés. Mes recherches actuelles portent sur l’évolution du m’mouat en milieu Ekang (populations rencontrées au Cameroun méridional), et se penche particulièrement sur la production et la consommation de ce dernier qui, semble répondre à des besoins contemporains, liés à des questions d’expression identitaire, d’agentivité et de décolonialisme. Mes centres d’intérêts sont les arts africains, les arts autochtones canadiens, l’histoire de l’art, la sociologie de l’art, le cultural study, l’agentivité, le fashion design et la photographie.

Quel bilan dressez-vous des travaux du 90ème congrès de l’Association canadienne-française pour l’avancement des sciences (Acfas) auquel vous avez pris part ?

Un bilan très positif aux sorties de ce Congrès. Certainement l’un des plus grands Congrès de l’histoire de l’Acfas, organisé avec la précieuse collaboration de HEC Montréal, de l’Université de Montréal et polytechnique Montréal. Le congrès de l’Acfas de cette année à travers 334 colloques , plus de 600 communications libres et 10 000 congressistes venants de plus d’une soixantaine de pays.

Placé sous le thème « 100 ans de savoirs pour un monde durable » ; du 8 mai au 12 mai 2023, les congressistes ont partagé leurs recherches avec leurs pairs. Une programmation scientifique consistante et des animations tous publics permettant de valoriser la place du chercheur, de la recherche et des savoirs dans les sociétés hétéroclites et leurs apports au bien collectif ; ceci dans le but miré de concevoir le monde de demain.

Votre communication à cet important rendez-vous était intitulée : Collaboration afro-canadienne sur la gouvernance universitaire en Afrique subsaharienne : regard d’une doctorante. À partir donc de votre regard, un état des lieux ?

Je tiens tout d’abord à remercier le Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche en Enseignement Supérieur (LIRES), pour cette vitrine d’expression sur cette collaboration afro-canadienne en matière de gouvernance universitaire en Afrique Subsaharienne.

Le Canada est l’un des pays qui ces dernières décennies a constitué l’une des destinations prioritaires de nombreux boursiers originaires de pays d’Afrique subsaharienne. Cette attraction spécifique du Canada reste particulièrement favorisée par un modèle d’enseignement supérieur à la fois ouvert, flexible et fortement compétitif, déterminé par une culture historique fortement marquée de multiculturalisme et de bilinguisme. Il s’agit là d’une opportunité particulière pour les universités africaines marquées par des trajectoires historique et linguistiques diverses. Les gouvernements africains pourraient tirer un grand profit de l’expérience canadienne en vue de mettre en place des outils et des politiques pour rendre plus performantes les politiques publiques de l’éducation, notamment dans le domaine de la gouvernance universitaire. Ma présente communication au Congres a eu pour objectif de jeter un regard prospectif sur les pistes de coopération féconde entre le Canada et les pays d’Afrique subsaharienne en vue de renforcer la gouvernance universitaire en Afrique subsaharienne.

Ces dernières années, plusieurs pays africains accélèrent le chantier de la sauvegarde, de la restitution et de la valorisation de leur patrimoine culturel. Quels sont, selon vous, les enjeux de ce chantier ?

Selon l’aspiration 5 de «  l’Agenda 2063 de l’Union Africaine » en sa ligne 43 : « la culture, l’héritage et les objets volés à l’Afrique seront rapatriée et sauvegardés ». L’UNESCO au truchement de sa « convention sur la lutte contre le trafic illicite des biens culturels » de 1970, considère ces vols et le trafic illicite des biens culturels comme des crimes .Cela dépouillent les peuples de leur histoire et de leur culture. La cohésion sociale sur le long terme se voit déstabiliser.

Les enjeux de la restitution sont multiples.

Sur le plan politique ; je perçois la restitution comme une sorte de mea- culpa des Etats colonisateurs. Une sorte de « réparation » de ces Etats vis-à-vis des anciennes colonies .Cependant, suffit-il de restituer pour réparer ? Peut- on seulement au truchement de cette restitution penser réparer toute la déconnexion sous-tendue par le pillage et le trafic illicite de nos biens culturels ?

En 2017 Emmanuel Macron, battant campagne à Alger, qualifiait la colonisation de « crime contre l’humanité » en ces termes: « la colonisation fait partie de l’histoire française. C’est un crime, c’est un crime contre l’humanité, c’est une vraie barbarie ». Il faut dire que cette barbarie fait actuellement compter, d’après le rapport Savoy et Sarr de 2018, au moins 88000 objets provenant de l’Afrique subsaharienne dans les collections publiques françaises. Or certaines images, la lecture de certains ouvrages et des discussions avec certains experts du patrimoine africain établissent que les objets pillés en Afrique étaient expédiés  par cargaisons entières. Le président de la King Mayesse Fondation à Kribi, Jude Sylvain Mboum penche pour 5 fois plus de biens spoliés et rapportés à l’extérieur du continent.

Sur le plan culturel et cultuel, avec la restitution, nos objets retrouvent enfin la terre de nos aïeux. Ce retour va à mon sens renforcer l’ancrage socio-anthropologique des populations présentes et futures et maintenir ainsi les mémoires historique, culturelle et cultuelle.

A coup sûr, la restitution est synonyme de développement en matière de tourisme culturel. A son truchement, des personnes viendront spécifiquement des autres régions pour admirer et essayer de comprendre ces artefacts. Cela permettra aussi la mise en valeur de l’ethno- produit.

La sauvegarde, la valorisation du patrimoine entrepris par les Pays africains permettent de maintenir en éveil la mémoire nationale et reléguer en arrière-plan l’altérité coloniale. La renaissance culturelle de l’Afrique exige la libération de la pensée longtemps emprisonnée par les idéologies dominatrices coloniales et néocoloniales.

Vous avez mené d’importants travaux sur les tenues traditionnelles, notamment l’obom. Que proposez-vous pour la valorisation de cette tenue à l’échelle du marché internationale ?

Il incombe d’entrée de jeu de préciser ce que j’entends par obom. Produit de l’écorce des moracées, battue au préalable, le tissu végétal obom est une forme vestimentaire chez les anciens Ekang. C’est l’étoffe végétale que portaient autrefois les aïeux des populations de la partie méridionale du Cameroun sous forme de cache-sexe ou de pagne. Etymologiquement, obom vient du verbe bôm, signifiant taper, frapper, battre. Le nom est né de la technicité, et renvoie à la manière confectionner le tissu. On peut donc déduire que l’obom est le textile obtenu grâce à la « frappe ». Le vocable renvoie autant à la technique de exécution, de confection des objets à partir de ce tissu végétal. Le concept recouvre encore le sens de « entre les jambes ». Au lendemain des indépendances, la société Ekang comme la plus part des sociétés ayant subi l’impérialisme, est dévastée socio-culturellement. Une société phagocytée par ce que je qualifie d’afrodestructisme, car la faiblesse de l’Afrique est tirée de l’histoire et des traditions occidentales. L’afrodestructisme va donc favoriser la destruction des valeurs endogéniques Négro-africaines au contact des puissances colonisatrices et impérialistes.

Dans le contexte de la mondialisation où s’exprime le paradoxe de la promotion des identités dans un univers interconnecté, chaque peuple est appelé à contribuer à cette grand-messe. Il en résulte alors un questionnement essentiel, celui relatif à l’apport des populations Ekang: l’obom ne peut-il pas être cette vitrine, par la même occasion cette monnaie d’échange ?

Cette valorisation de l’obom est la posture d’une pensée légitime à rendre le NégroAfricain un Être fier, un Être pouvant répondre à l’impérative obligation de la transformation socio-culturelle. il faut une communication sur le produit. La politique de communication permet aux acheteurs éventuels d’être tenus informés de l’existence du produit et de l’endroit où on peut se le procurer. Ainsi, toute stratégie de marketing se fonde sur une analyse de la demande que l’on devrait anticiper, dont on dérive une politique de commercialisation des produits.

Dès lors, il est important de savoir comment communiquer sur ce Patrimoine, car en racontant, en expliquant le fil conducteur qui a permis de partir du « cache-sexe » porté par les aïeux , au support plastique, artistique ou esthétique ; en valorisant son histoire, le savoir-faire qui lui est lié, ses habitudes de consommation, la tenue obom se charge de sens pour les consommateurs. Il est sans ignorer que chaque secteur d’activité a besoin d’avoir des outils à sa disposition. L’ensemble d’instruments nécessaires à la valorisation est imposant et nombreux ; nous préconisons pour le cas échéant : Le web, les produits imprimés.

L’internet étant devenu l’outil de diffusion choisi par des milliers d’organisations, structures et d’individus, les sites web sont des instruments puissants permettant aux artistes exerçant dans ce domaine d’atteindre plus facilement le public cible et de le promouvoir. Il est donc utile d’optimiser les sites web concernant l’obom, d’augmenter leurs visibilités sur les moteurs de recherches. La création des liens réciproques avec des sites web dans des domaines complémentaires, et la promotion du site dans la « blogosphère », sont deux manières d’en assurer la publicité. Des pages Facebook, Instagram, Link, You Tube… seront mises sur pieds avec des contenus intéressants, pour gérer les images professionnelles de ces personnes qui font dans l’obom. Cela développera un réseau professionnel fort solide.

Quant-aux produits imprimés, ils seront également d’un apport captivant. Les publications écrites sont dans la plupart des cas un outil indispensable de valorisation populaire. Toutefois, les responsables de ces projets doivent adopter soigneusement le message et le ton de la publication, au public ciblé. Les types de produits imprimés sont multiples.

  • Les brochures et dépliants assurent la promotion des tenues et objets produits en obom, avec des résumés de manière relativement intemporelle.
  • Les catalogues, qui devraient contenir des informations sur les artistes, créateurs, ainsi que des résumés à propos des créations en obom.
  • Des bulletins d’information et les magazines devront publier très souvent les lieux d’exposition, les dates et périodes de rencontre des artistes et de leurs expositions.

Dans une autre mesure il est possible de valoriser cette authenticité vestimentaire, dans le cadre de manifestations évènementielles tant au niveau national qu’international. Les différentes manifestations visent à valoriser les produits et les savoir- faire en matière d’obom, mais aussi à développer les liens entre producteurs et consommateurs.

 Patrimoine et la culture sont les atouts les plus attractifs de la destination Afrique en général, et Cameroun en particulier. Quelle devrait être, selon vous, l’approche adoptée par pour mieux valoriser ces atouts ?

L’approche la mieux adoptée à mon sens est la promotion et valorisation optimale de la marque Afrique. Ceci dans le souci de rejeter l’afrodestructisme vectrice de la subalternisation Nos acquis endogéniques doivent pouvoir être cette vitrine de nos savoir- faire, savoir vivre et savoir être. Cette vitrine que nous vanterons aux autres dans la globalisation. Dans le contexte de la mondialisation où s’exprime le paradoxe de la promotion des identités dans un univers interconnecté, chaque peuple est appelé à contribuer à cette grand-messe Et son rendez-vous du donner et du recevoir. Valoriser ces richesses culturelles et sauvegarder nos traditions (Cameroun) sont des enjeux majeurs. Ce qui contribue au maintien en éveil de l’histoire des communautés, au maintien de la mémoire nationale. Le mérite ici est de mettre en avant une vision euro-décentrée de l’histoire [de l’art] de l’Afrique et du Cameroun.

Quelle forme d’action les pays africain en général, doivent-ils déployer au sein des instances concernées pour assurer au mieux la protection et la promotion de son patrimoine ?

Je proposerais de Faire un plaidoyer non seulement sur l’impact de la destruction du patrimoine sous toutes ses formes imaginables ; mais faire des propositions efficaces et efficientes, appropriées à chaque pays et contexte donc le but sera la protection et la promotion des divers patrimoines avec en prime leur intégration aux objectifs du développement durable (ODD).

Le numérique est-il une solution prometteuse dans le processus de protection du patrimoine en Afrique en général ?

Avec le numérique pour la protection du patrimoine, nous ne sommes plus directement en contact physique avec les œuvres patrimoniales. Leur préservation est à terme. Le numérique rend le patrimoine accessible à un public plus large. Il s’ensuit comme le stipule l’article 2 de la « Charte de l’UNESCO sur la conservation du patrimoine numérique » de 2003 que l’accès aux documents du patrimoine numérique, en particulier ceux qui sont dans le domaine public, ne doit pas faire l’objet de restrictions excessives. Les informations sensibles et personnelles parallèlement, doivent être protégées contre toute forme d’intrusion.

La principale peur avec le numérique est cette information numérique qui risque d’être rapidement obsolète ou de se dégrader. Il est évident que l’instabilité de l’Internet présente des risques supplémentaires pour le savoir accumulé en format HTML. La charte préconise la nécessité de préserver cette nouvelle forme de savoir indexé qui plaide pour la recherche d’un accord international sur les questions d’archivage, de préservation et de diffusion dudit patrimoine.

Si rien n’est fait contre les menaces actuelles, la perte du patrimoine numérique sera rapide et inéluctable. Les Etats africains ainsi que les autres Etats membres ont intérêt à encourager des mesures juridiques, économiques et techniques visant à sauvegarder ce patrimoine. L’article 4 de ladite charte parle d’une campagne d’information et de sensibilisation qui s’impose d’urgence pour alerter les décideurs et le grand public en leur faisant prendre conscience aussi bien du potentiel des supports numériques que des problèmes pratiques de conservation.

Propos recueillis par Baltazar ATANGANA