[INTERVIEW] Humanitaire, Leona Ahanda a fait de sa passion et de ses convictions son métier!

Tract – Pouvez-vous vous présenter ?

Je suis Leona AHANDA, je suis Gender Advocate et militante pour les droits des femmes et des filles au Cameroun et en Afrique. Après avoir obtenu une maîtrise en droit des affaires à l’Université de Douala, je me suis orientée vers le domaine humanitaire, j’ai également obtenu une maîtrise en Coopération au développement et Action Humanitaire à l’Institut des Relations internationales du Cameroun. Mon engagement pour les droits des femmes et des filles a commencé dès mon enfance, car mes sœurs et moi avons connu des difficultés, notamment des formes de violences basées sur le genre, qu’elles soient psychologiques, symboliques ou physiques. À l’âge adulte, j’ai également été confrontée à des violences institutionnelles. Mon côté rebelle et non conventionnel m’a poussée à m’engager dans cette lutte. Je réponds souvent à mes collègues qui me demandent pourquoi je m’investis dans le domaine du genre malgré mon parcours : « J’ai fait de ma passion et de mes convictions mon métier ».

Selon vous, au Cameroun, quels sont les principaux enjeux pour la prévention et la lutte contre les violences basées sur le genre en général, et en particulier sur celles faites aux femmes ?

Ces enjeux sont multiples, nous avons le manque de connaissance des lois contre les violences basées sur le genre, les stéréotypes socioculturels minimisant les VBG, le sous-financement des actions des organisations qui œuvrent pour les droits des femmes, sans oublier le manque de sensibilisation et de prise de conscience de l’ampleur des VBG.

Aujourd’hui, percevez-vous une évolution de la prise en compte de la problématique des violences basées sur le genre au niveau local ?

Oui, je perçois une évolution positive de la prise en compte de la problématique des violences basées sur le genre au niveau local. De plus en plus d’acteurs locaux, tels que les ONG, les OSC, les leaders locaux, se mobilisent pour sensibiliser, prévenir et soutenir les survivantes de violences basées sur le genre. Les initiatives locales se multiplient, et cela démontre une réelle prise de conscience croissante de l’importance de lutter contre les VBG. On note aussi plus de volonté politique sur le sujet ces dernières années, avec par exemple l’élaboration de la politique nationale genre. On peut donc dire que les mentalités changent lentement, mais elles changent, elles ne restent pas statiques. Nous constatons le travail du Ministère de la promotion de la femme et de la famille, actuellement qui mène des actions de plaidoyer pour l’adoption d’une loi-cadre contre les violences faites aux femmes et aux filles au Cameroun.  Il y a également au Cameroun la plateforme “Alert Gbv”, une plateforme d’assistance aux survivantes de Violences Basées sur le Genre.

Il reste encore beaucoup à faire!

Pourquoi est-ce important qu’il y ait une action coordonnée des acteurs de terrain et des collectivités locales en plus d’une action au niveau étatique ?

De nos jours, c’est un impératif d’avoir une action coordonnée des acteurs de terrain et des collectivités locales en plus d’une action au niveau étatique pour plusieurs raisons. Tout d’abord, les acteurs de terrain et les collectivités locales ont une connaissance approfondie des réalités et des besoins spécifiques de leur communauté. Leur implication est essentielle pour adapter les actions de prévention et de lutte contre les VBG aux réalités locales. De plus, ces acteurs ont souvent une réelle proximité avec les survivantes et ils sont mieux placés pour fournir un soutien approprié. Enfin, une action coordonnée entre les acteurs de terrain, les collectivités locales et les autorités étatiques permet de mobiliser l’ensemble des ressources disponibles et de créer des synergies pour une réponse rapide, complète et efficace. Avec cette mobilisation de tous les acteurs et actrices, nous pouvons espérer un changement social durable.

La problématique des violences basées sur le genre vous tient à cœur au regard de votre déploiement tant professionnel qu’associatif, concrètement, à quelles actions participez-vous ?

Actuellement je travaille à l’Institut du Genre en Géopolitique à Paris en tant que Chargée de mission au sein du pôle développement, j’ai co-rédigé un policy paper sur le genre, le climat et le leadership; je suis Co-directrice d’une campagne sur l’écoféminisme. J’ai organisé et animé la campagne « 16 jours d’activisme » à Action contre la Faim Cameroun. Je fais également des sensibilisations via ma page linkedin.

Parallèlement, je dirige la campagne « Règles sans tabous pour l’accès à l’hygiène menstruelle des filles en situation de rue et de handicap dans la ville de Yaoundé ». La Collecte de produits menstruels et sensibilisation sur l’hygiène menstruelle. J’ai aussi été sélectionnée pour participer au concours “Fil rouge” de l’organisation internationale de la francophonie pour l’élaboration d’une fiche pédagogique sur l’égalité femmes-hommes.

Dans mon agenda féministe, il y’a beaucoup d’actions à venir, je réfléchis à des initiatives qui vont permettre de renforcer le dialogue et les échanges sur les problématiques de genre, entre chercheur.ses, décideur.ses et société civile. L’idée ici est de multiplier les espaces de réflexion collective pour nourrir les politiques publiques. Je réfléchis notamment à la création d’un centre d’idées et de réflexion sur cette thématique, des tables rondes sur des discussions liées aux VBG. Vous en saurez plus prochainement …

Quelles sont les mesures concrètes que vous recommanderiez pour renforcer la lutte contre les violences basées sur le genre au Cameroun ?

Déjà, je recommanderais de :

– Renforcer le cadre législatif en adoptant des lois spécifiques qui criminalisent les violences basées sur le genre et garantissent la protection des droits des femmes et des filles.

– Mettre en place des mécanismes de sensibilisation et d’éducation dans les écoles, les médias, les lieux de travail et les communautés pour informer sur les violences basées sur le genre, leurs conséquences et les droits des femmes. Les hommes et garçons ont aussi un rôle clé à jouer comme alliés dans la prévention des violences de genre. Il faut les sensibiliser dès le plus jeune âge à l’égalité et au respect mutuel. C’est aussi ça la masculinité positive.

– Développer des services de soutien complets pour les survivantes, tels que des centres d’accueil, des lignes d’assistance téléphonique, des services de conseil psychologique et juridique, et des programmes de réintégration sociale et économique.

– Renforcer les capacités des acteurs de terrain, tels que les travailleurs sociaux, les agents de santé, les forces de l’ordre et les enseignants, en leur fournissant une formation continue sur la prévention, l’identification et la prise en charge des violences basées sur le genre. Ça nous évitera des phrases du genre : « tu as fait quoi pour qu’il te frappe/te viole ? etc. »

– Encourager la participation des leaders communautaires, des organisations de la société civile, des médias et des institutions religieuses dans la lutte contre les violences basées sur le genre.

– Renforcer la coopération internationale en échangeant les bonnes pratiques, en mobilisant des ressources et en coordonnant les efforts avec les gouvernements, les organisations régionales et les partenaires internationaux.

– Accorder plus de financements aux organisations qui sont dans ce domaine (des financements durables)

Ces mesures combinées contribueront à créer un environnement sûr et égalitaire pour les femmes et les filles au Cameroun, où leurs droits sont respectés et protégés.

Votre mot de fin…

La problématique de l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes et des filles reste encore insuffisamment prise en compte dans les politiques publiques africaines en général et en particulier au Cameroun. Et on peut dire qu’avec les crises climatiques, l’accroissement démographique, l’urbanisation, la mondialisation…, les défis liés au genre deviennent de plus en plus prégnants, nous devons nous en soucier. C’est l’affaire de tous et de toutes !

 

Propos recueillis par Baltazar Atangana

Correspondant Cameroun.