TRIBUNE- « Bien sûr, il faut restituer les œuvres culturelles aux pays africains… mais il faut aussi indemniser les pays spoliés ! » (Par Gorgui Kafindia)

Senegal President Macky Sall (R) receives the sword El Hadj Omar Tall from French Prime Minister Edouard Philippe at the Palace of the Republic in Dakar, Senegal, on Novamber 17, 2019. - French Prime Minister Edouard Philippe returns to President Macky Sall the sword of a Senegalese religious chief of XIX century, so far exposed at the museum of Invalides in Paris. (Photo by SEYLLOU / AFP)

Décidemment, novembre est un mois béni pour la Culture Africaine. La déclaration d’Emmanuel macron sur le sujet de la Restitution des œuvres culturelles africaines, la cérémonie de restitution du sabre d’El Hadj Oumar et la Remise du Rapport Savoy-Sarr, tous ces événements se sont déroulés, à quelques jours près, à la même date sur les deux dernières années.

En effet, le 28 novembre 2017, le président de la République Emmanuel Macron déclarait à Ouagadougou : « D’ici à cinq ans, je veux que les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain à l’Afrique ». Le 17 novembre 2019, à Dakar, le premier ministre Edouard Philippe a symboliquement remis au président sénégalais Macky Sall le sabre dit d’El Hadj Oumar Tall. Une année plus tôt, le 23 novembre 2018, les chargés de mission du Président macron, déposaient leur rapport à l’Elysée.

Ceci étant dit, au-delà de l’aspect fortuit de la coincidence des dates, la cérémonie de restitution du Sabre dit d’El hadj Oumar, qui a eu lieu au Palais de la République est une des recommandations-phares issues du rapport Savoy-Sarr. En effet, à la page 55 dudit rapport, les auteurs – Bénédicte Savoy et Felwine Sarr – ont recommandé la restitution du sabre d’El hadj Oumar dans la séquence temporelle au cours de laquelle elle s’est tenue.

S’il faut se féliciter de ce résultat, les réactions qui ont accueilli cette restitution sont diverses. Les unes célébrant cette victoire, à rebours de l’histoire, tandis que les autres comme Ousseynou Nar Gueye, brillant intellectuel et Directeur du site « Tract.sn », regrettant cette restitution ; appellent de leurs vœux une mesure tout à fait originale : La mise en place d’une taxe culturelle sur les tickets d’entrée des musées exposant les œuvres distraites du patrimoine culturel africain. Dans sa chronique sur le site de Jeune Afrique, il précise sa pensée : « À la place de la « restitution » des objets culturels africains, je propose de laisser ce patrimoine dans les musées occidentaux, qu’ils soient français, belges, suisses ou américains, et qu’on impose une « taxe culturelle africaine » sur les billets d’entrée, à reverser au Trésor public des pays d’origine. »

Ne partageant pas son avis sur la question, sa chronique et la pétition qu’il a lancée par la suite, m’ont fourni un prétexte pour donner lui apporter la réplique sur ce sujet d’une acuité brulante.

Mais avant d’énoncer mon sentiment, par souci de rigueur méthodologique, commençons par régler les aspects sémantiques, ainsi que d’usage, lorsque la matière est complexe ou lorsque les outils conceptuels, pertinents pour le problème, s’avèrent ambigus. La définition des notions, de « retour » et de « restitution des biens culturels à leur pays d’origine », a fait l’objet de clarification en s’appuyant à la fois sur le dictionnaire et les travaux de l’UNESCO. Sous ce double rapport, ils ont distingué les deux démarches :
1) Le « retour » qui comprend les « biens culturels qui ont été perdus par suite d’une occupation coloniale ou étrangère » et ;
2) la « restitution » qui concerne les biens culturels « qui ont disparu par suite d’une appropriation illégale ».

Il faut donc dire, sans ambages, et c’est à l’honneur de Madame Savoy et du Professeur Sarr, compte tenu des circonstances de la cause, que le terme « restitution » est le seul qu’il convienne d’employer puisque le bien est rendu à la suite d’une action en revendication, basé sur un délit, souvent un vol, préalablement commis.

C’est la raison pour laquelle, il me semble que la mesure préconisée par l’éditorialiste ne postule que pour l’avenir en suggérant la mise en place d’une taxe culturelle sur les billets acquittés par les visiteurs des musées du Nord. Mieux ou pire, c’est selon, le fondement de cette redevance dénommée TCA (Taxe Culturelle Africaine) prend appui sur l’incapacité supposée des musées africains à conserver/sécuriser les biens spoliés-restitués.
Or, c’est précisément cette condescendance , consistant à se préoccuper des conditions dans lesquelles ces œuvres seraient conservées/exposées, si elles étaient rendues à leurs propriétaires légaux et légitimes, ces « pays pauvres très endettés », qui est insupportable. Cet argument, léger entre tous, indexant, toute honte bue, le dénuement infrastructurel des pays qui demandent justice aujourd’hui. Tout se passe comme s’il serait admissible qu’une très belle œuvre soit volée à un pauvre au motif qu‘elle déparerait son intérieur. L’exemple est à peine caricatural.

La mauvaise foi qui le sous-tend est évidente. Généraliser une certaine indigence infrastructurelle du continent, là où certains pays, comme l’Afrique du Sud par exemple présente parfois, en nombre et en niveau de sécurisation, des musées qui dépassent ceux du Nord. Et qu’au demeurant, cet argument spécieux s’effondre devant l’épisode de la disparition d’un musée de Paris (excusez du peu) de toiles de maitres qui y étaient exposées. Pour mémoire, en mai 2010, le Musée d’Art moderne de la ville de Paris s’était fait voler cinq toiles dont des œuvres de Picasso, Matisse et Modigliani.

La perspective de la restitution des œuvres africaines à leurs légitimes propriétaires appelle des relèvements significatifs du niveau d’équipement des musées et il est indiscutable que les États Africains, notamment leurs chefs emblématiques (Patrice Talon Notamment qui avait fait de cette restitution presque un Casus Belli ) sont conscients des enjeux, des défis relatifs à la sécurisation des biens spoliés-restitués et surtout des opportunités qu’ils offrent.

La restitution du Sabre d’El Hadj Omar a aussi charrié une controverse qui est loin de se calmer, la question de la convention de prêt de cinq ans, mesure provisoire dit-on, en raison du principe de l’inaliénabilité des œuvres, qui voudrait qu’une œuvre classée au patrimoine public national, en France, ne puisse plus en sortir. Cet artifice juridique, d’une incroyable mauvaise foi, oblige la France à créer une loi d’exception, pour pouvoir restituer une œuvre à son pays d’origine.

Enfin, le brillant journaliste, à l’instar des rapporteurs, passe sous silence le fait qu’une part non négligeable du patrimoine culturel africain, arrivé en France, par des mécanismes de captation illicites, a été acquise par des collectionneurs privés qui les gardent par devers eux, en violation des lois et de la vertu. Devons-nous laisser ces collections privées qui, en raison de leur illicéité, tombent sous le coup de la Restitution, demeurer dans le patrimoine de ses receleurs ?

Le professeur de Droit des Affaires internationales à l’Université́ de Columbia, Elazar Barkan, indique de façon non équivoque dans son ouvrage « The Guilt of Nations : Restitution and Negotiating Historical Injustices », le souhait de correction des dommages historiques que les pays colonisateurs auraient commis en volant, confisquant ou encore en s’appropriant les œuvres d’art des pays et l’obligation morale qui est attachée à la réparation. Nous reprenons ses arguments à notre compte et les faisons intégralement nôtres.

En résumé, je comprends tout à fait l’idée de la TCA qui m’est parfaitement intelligible et que j’aurais supporté toute seule si elle n’était pas le corollaire de la mesure suggérée par le Promoteur du Site Web Tract.sn : le refus de la restitution.
Pour ma part, sans vouloir être disert, il faut, tout à la fois, et restituer les objets ; et assujettir leurs possesseurs actuels à une indemnisation pour la longue détention de mauvaise foi puis instaurer, par la suite, une taxe culturelle sur les tickets d’entrée des musées qui conserveraient des biens qui ne seraient pas « restituables” en raison d’obstacles objectifs à leur restitution (propriétaires légitimes multiples, droit effectif dans le cas d’un paiement préalable au bon propriétaire, etc…). En attendant ce jour faste, je me contenterai de me réjouir de cette restitution, de bon augure pour la suite.

Gorgui Kafindia

1) Les pièces suivantes issus du butin de guerre fait à Ségou (trésor d’El Hadj Omar Tall / Ahmadou) conservées au musée du quai Branly-Jacques Chirac, au musée de l’Armée et au Muséum d’histoire naturelle du Havre : Sabre d’El Hadj Omar Foutiyou Tall (musée de l’Armée, no 6995, fig. 15) (In page 55 du rapport Savoy-Sarr)
2)https://www.jeuneafrique.com/862635/culture/tribune-non-a-la-restitution-du-patrimoine-africain-oui-a-une-taxe-culturelle-sur-les-musees-occidentaux/
3)« Restituer, c’est reconnaître aux peuples et aux pays africains la capacité de conserver eux-mêmes leur patrimoine. Donc, la question de savoir s’ils possèdent ou pas des musées relève du paternalisme. » Felwine Sarr
4)Casus belli est une locution latine, signifiant littéralement « cas de guerre », qui désigne un acte de nature à motiver, pour un gouvernement, une déclaration de guerre.
5)Taxe Culturelle Africaine