Présidentielle samedi : Tract.sn vote Biram Dah Abeid. L’homme pour libérer les esclaves modernes de Mauritanie

Il y a 5 ans, son combat sans relâche contre l’esclavage et sa candidature à l’élection présidentielle mauritanienne de 2014 ont fait enrager les autorités du régime Aziz au point de le faire enfermer. Biram Dah Abeid, fondateur du mouvement Initiative de résurgence du mouvement abolitionniste (IRA), avait été arrêté le 11 novembre 2014 et condamné à deux ans de prison pour «appartenance à une organisation non reconnue», «appel à rassemblement non autorisé» et «violence contre la force publique». La Cour suprême de Mauritanie a ordonné sa libération en 2016. Plus d’un million de personnes (le pays compte 3,8 millions d’habitants) avaient signé la pétition en ligne pour demander la fin de sa détention.

Biram Dah Abeid, 54 ans, membre de la caste des Haratins ou «Maures noirs», est lui-même un descendant d’esclaves. Il a été distingué par le prix le prix des Nations unies pour la cause des droits de l’homme en 2013, en soutien à sa lutte abolitionniste. Une action militante en particulier lui avait valu les foudres du pouvoir exécutif et religieux et, déjà, un séjour en prison : le 27 avril 2012, il avait symboliquement brûlé un manuel de jurisprudences malikites (école du sunnisme majoritaire en Mauritanie) qui, selon l’ONG IRA, prônent l’esclavage et le justifient.

L’esclavage a été officiellement aboli en 1981 en Mauritanie et l’Assemblée nationale a reconnu l’an dernier qu’il constituait un «crime contre l’humanité». La loi prévoit même jusqu’à vingt ans de prison pour les maîtres et un dédommagement pour les victimes. Sur le papier, Nouakchott est donc doté de l’arsenal nécessaire pour affronter cette pratique séculaire. Mais dans les faits, IRA dénonce une impunité généralisée. «Des familles entières appartiennent encore à la famille de leurs maîtres, et sont contraintes de servir toute leur vie leurs propriétaires. De plus, beaucoup de descendants d’esclaves continuent de travailler sur des terres sans aucun droit et sont contraints de donner une partie de leurs récoltes à leurs potentiels maîtres traditionnels, dénonçait Biram Dah Abeid en novembre dans une lettre envoyée à Amnesty International depuis sa prison d’Aleg, dans le sud du pays. Des Mauritaniens noirs vivent encore sous le poids de l’oppression, du mépris et du racisme par des minorités ethniques et confessionnelles qui continuent à piller la terre, accumuler des ressources et asseoir leur autorité.»

La Cour suprême a requalifié les faits reprochés à Biram Dah Abeid et son adjoint Brahim Ould Bilal – ils avaient physiquement rejoint la caravane militante du mouvement abolitionniste — en «attroupement maintenu après les premières sommations». Un délit passible de deux mois à un an de prison, a précisé un des avocats des détenus. Cette période étant couverte par leur détention, la plus haute juridiction du pays a ordonné que les deux hommes soit immédiatement relâchés. Amnesty a fait part de son «immense soulagement» mais rappelle que dans le pays du président Mohamed Ould Abdel Aziz, d’autres «prisonniers de conscience, comme le blogueur Mohamed Mkhaïtir, sont détenus pour avoir simplement exprimé leur opinion».

A 2 jours de l’élection présidentielle de ce samedi 22 juin 2019, qui opposera 6 candidats dont ne fait pas partie le président Aziz (arrivé au pouvoir en 2008 par coup d’État), Tract.sn appelle de ses voeux à l’élection de Biram Dah Abeid. D’abord parce que les Négro-mauritaniens constituent la majorité de la population, devant les Beidanes blancs, malgré l’épuration ethnique intervenue sous le président Ould Taya après les événements sanglants de 1989 entre le Sénégal et la Mauritanie.

Dah Abeid est sans doute le personnage le plus controversé du pays. C’est pour cette raison qu’il est celui qui peut réconcilier ses communautés noire et blanche fracturées par un mur invisible. Son combat, qui lui vaut à la fois des haines tenaces et une admiration sans borne, le dévore depuis bientôt trente ans : il a juré de dédier sa vie à la lutte contre l’esclavage, une pratique encore largement répandue en Mauritanie bien qu’officiellement abolie en 1980. Aucun recensement officiel n’a été effectué, mais le chiffre le plus sérieux est de 150 000 esclaves à travers le pays, soit 4 % de la population. Un record mondial.

Ostracisme

Biram Dah Abeid est né libre. Comme son père avant lui. Emmitouflé dans son débordant boubou bleu, coiffé d’un bonnet, jambes repliées sous son grand corps pour se protéger du froid insistant qui s’immisce dans le minuscule salon de son hôtel deux étoiles de la gare du Nord à Paris, il narrait en 2016 son histoire familiale,  à la façon d’un conte africain : «Le maître de ma grand-mère, très malade, avait fait venir auprès de lui un marabout, qui lui a recommandé d’affranchir le fœtus de son esclave – ma grand-mère était enceinte – pour attirer la guérison. Il s’agissait d’un pacte avec Dieu. Le maître s’est exécuté, sa maladie a disparu.»

A sa naissance, vers 1920, le père de Biram est libre. Un proverbe mauritanien dit pourtant : «Il y a aussi peu de différence entre un esclave et un affranchi qu’entre la queue d’une vache et la terre.» En se mariant une première fois à une esclave, l’aïeul de Biram en a fait l’amère expérience, dans les années 50. Il cherche à l’époque à faire venir femme et enfants à Dakar, au Sénégal, où il a monté un petit commerce. Mais le propriétaire de sa femme s’oppose au «regroupement familial».

L’affaire est portée devant le juge coutumier, qui tranche en faveur du maître : «Le mari d’une esclave n’est qu’un géniteur, pas un père, il n’a pas de droits.» L’autorité coloniale est à son tour sollicitée, mais le chef de cercle français de Rosso refuse «d’interférer dans les lois indigènes». D’une deuxième femme naîtront douze enfants. Biram est le onzième. Il ne connaît pas sa date de naissance. «C’était pendant le mois de la pluie de 1965. Je ne suis pas né dans une maison, mais sous un tissu. Dans une tente. Celle d’un village ambulant, où l’on vit en communauté, où l’on voit quand les voisins déposent le repas par terre, raconte-t-il. La grande sécheresse, au début des années 70, a poussé ma famille à se sédentariser près de Rosso.» Là-bas, déjà, la bâtisse familiale est ouverte aux esclaves en quête d’un instant de repos clandestin. Il décrit une scène fondatrice : «J’étais en première année d’école. Un maître a trouvé son esclave qui était réfugié chez nous, il l’a battu, battu encore. Le maître était chétif, l’esclave, qui s’appelait Mohamed, était fort. J’ai demandé à ma mère : « Pourquoi Mohamed ne réplique pas ? – Parce qu’il est enchaîné. – Je ne vois pas ses chaînes. – Ce sont des chaînes invisibles, divines, les plus dures à briser. » Mon père m’a pris à part, et m’a dit : « Sais-tu pourquoi je t’ai mis à l’école ? Pour que tu connaisses la loi et les livres des maîtres et que tu puisses percer ce secret de l’esclavage. Fais-moi le serment que tu le feras ! »» Le petit Biram, impressionné, a promis.

En grandissant, tous ses travaux scolaires, puis universitaires, sont consacrés au thème de l’esclavage. Il est renvoyé de son premier poste – greffier dans un tribunal de province – après «une prise de gueule» avec un juge sur une question d’héritage. «A sa mort, le bétail d’un esclave avait été attribué à ses maîtres plutôt qu’à sa famille.» Muté à Nouadhibou, la deuxième ville du pays, en 1990, Biram Dah Abeid rejoint le premier parti d’opposition, l’UFD. Il y fait ses classes politiques, mais il est déçu de l’ostracisme dont sont victimes, ici aussi, les Haratines (40 % de la population). «J’étais un grand lecteur à l’époque. Jean-Jacques Rousseau est l’écrivain qui m’a le plus marqué.» Et aujourd’hui ? «Je n’y arrive plus. Je ne suis plus concentré. Je pense en permanence à mon travail.» En 1996, il reprend les études, s’inscrit en fac d’histoire, à Nouakchott d’abord, puis à Dakar. Sa thèse est bien sûr consacrée à l’esclavage. Il rencontre sa future femme, Leïla, fille d’un couple de militants abolitionnistes : «Nous nous sommes trouvés dans la lutte.» Mais Biram Dah Abeid juge les associations mauritaniennes de cette génération (El Hor puis SOS Esclaves) «trop conformistes». Lui a théorisé une stratégie de rupture. Luther King, Mandela, Gandhi sont ses modèles. «J’étais fasciné par leur persévérance, leur façon d’attendre la victoire en évitant la colère, la haine.». Biram Dah Abeid est la chance pour la Mauritanie d’entrer enfin dans le 21ème siècle.